Voici comment améliorer les programmes d'investissement de l’État

L'objet de cet article est de voir comment moderniser la commande publique. Pour renverser la logique de l’appel à projet et du guichet à subventions, une autre méthode est possible : permettre à des acteurs privés de s'engager sur des objectifs socio-économiques nationaux. Nous l’appellerons la co-responsabilité du financement public.

L'État peut associer aux politiques publiques une diversité d'acteurs, s'il parvient à mesurer, comptabiliser et valoriser leurs contributions au capital de la puissance publique. Grâce à l'exploitation des données publiques, nous formulerons et poserons des engagements socio-économiques à la base d'un circuit de financement public.

Sommaire
  1. Des données publiques peu transparentes
  2. Les engagements socio-économiques
  3. Illustration de l'organisation du Plan Hydrogène
  4. Prototype d'un service public numérique

1. Des données publiques peu transparentes

Comment oublier les courbes de contamination pendant la pandémie de Covid-19 ? Cette déferlante de chiffres et leurs variations quotidiennes nous permettaient de suivre en temps réel l'évolution épidémique. Les cartes interactives et les visualiseurs de données ont continuellement justifié l'action des pouvoirs publics. Par exemple, Covid Tracker1 a été l’un des tableaux de bord modèle de suivi de la pandémie. Un logiciel libre qui a accéléré l’ouverture des données, leur précision et qui a fourni des indicateurs publics en temps réel aux usagers. Pour le gouvernement et les administrations, les indicateurs publics2 ne sont pas seulement utiles pour mesurer, planifier et prendre des décisions politiques. Ils concernent aussi tous les Français qui accèdent à ces mêmes données sur une situation et qui peuvent donc s'en servir pour éclairer leurs choix personnels.

Les données publiques sont une boîte à outils pour gouverner efficacement3. Si elles produisent des diagnostics chiffrés et objectivés d'une situation, le risque est d'enfermer dans une gouvernance par la statistique pure. Certes, les jeux de données peuvent être produits et enrichis par des sources issues de la société civile. Mais il est bien difficile pour le citoyen d'auditer la provenance des données publiques, et même de savoir quand certaines de ses propres données sont utilisées pour justifier une politique publique. De nombreux ensembles de données publiques, même s'ils agrègent de multiples sources, légitiment les mesures publiques de façon trop ascendante. Autrement dit, ils sont exploités pour valider unilatéralement la politique du gouvernement. Un enjeu est donc la qualité démocratique des données publiques.

Alors, les données publiques vont-elles servir à « bâtir du consensus» ? Ces mots sont ceux de notre Président à l’inauguration du Conseil National de la Refondation (CNR)4. Pour « transformer notre manière d’agir en remettant les forces vives sur le terrain au cœur de l’action publique », les données contribuent au débat certes, mais doivent être moins opaques pour organiser une stratégie nationale comprise par tous. Pour parvenir à un consensus, il faut un canal de négociation de ce qui est engagé par une multitude d'acteurs : pouvoirs publics, citoyens, organisations et acteurs économiques. Plutôt que de justifier des mesures gouvernementales après-coup à l'aide de données non collectivement qualifiées, l'État peut utiliser les indicateurs existants de gestion publique pour délimiter, organiser et engager ce qu'une diversité d'acteurs va co-construire pour répondre aux objectifs nationaux.

2. Les engagements socio-économiques

L’enjeu pour les représentants de l’Etat, les entreprises et les citoyens est d’acquérir de nouveaux principes de coopération. Une telle méthode implique de la part de l’Etat et des parties prenantes des réflexes de responsabilité pour partager le rôle plus innovant de co-expérimentateurs de projets. L'ingrédient est que chaque partie prenante à un projet public fournisse l'identification de ses ressources afin de mesurer et publier sa contribution réelle. Par exemple, le thème de la souveraineté économique exige que l'investissement productif aille de pair avec les stratégies industrielles. C'est sur la base d'engagements chiffrés et actualisés de production de valeur ajoutée nationale qu'il faut faire remonter les initiatives en faveur de la transition énergétique, de la réindustrialisation et de l'appareil productif français.

À quoi cela ressemble-t-il ? À un contrat d’engagements. Ce contrat d’engagements exige d'une partie prenante qu'elle matérialise par un apport chiffré en euros sa contribution réelle à un programme public. Tout contributeur souscrit au contrat par un apport en nature (contribution concrète), en industrie (savoir-faire et compétence) ou en numéraire (garantie du prix). C'est donc ensemble que les parties prenantes (privées et publiques) vont tracer et valoriser leurs engagements réciproques. Les apports mesurés vont directement s'emboîter avec le budget public pour co-financer les plans d'investissement de l’Etat, des régions et des communes. La règle d’or est de contractualiser la valeur réelle des engagements pour justifier les programmes de développement et les crédits publics.

Comprenons-nous bien : un engagement est de valeur s’il est mesuré et s’il assure ce qui est véritablement produit. Pour bâtir du consensus, le citoyen va considérer la valeur des engagements de la puissance publique, soit reconnaître factuellement ce qui est fourni pour lui et parce qu'il en apprécie concrètement les bénéfices. S’ils mettent en jeu la responsabilité de l’État, ces engagements doivent autant impliquer la société civile dans son activité humaine, sociale et politique qui participe à l'intérêt général : promouvoir le logement social, l'énergie hydrogène, le réseau ferré, la souveraineté numérique, l'agriculture biologique, la sécurité alimentaire… Plus que des statistiques, les engagements socio-économiques matérialisent une relation, une réciprocité entre la puissance publique, les entreprises et les citoyens.

3. Illustration de l'organisation du Plan Hydrogène

Voyons le contrat d’engagements pour une entreprise qui souhaite s'impliquer dans le Plan Hydrogène. La stratégie nationale pour l'énergie décarbonée a été présentée par le Président de la République pour que la France soit championne de l'hydrogène vert5. Pour un budget total de 7,2 milliards d’euros sur 10 ans, 3,5 milliards d’euros sont déjà consacrés6 de la manière suivante :

  1. Produire de l'hydrogène par électrolyse : 1,5 milliard d'euros pour la fabrication d'électrolyseurs d’eau et la construction d’une filière industrielle
  2. Valoriser les usages de la mobilité : 900 millions d’euros pour développer une mobilité lourde à hydrogène décarboné (camions et trains)
  3. Soutenir la recherche, l’innovation et les compétences : 650 millions d’euros pour des briques technologiques, démonstrateurs et hubs territoriaux

Les agences publiques comme l’ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) ouvrent un appel à projets pour répertorier les projets sur l’hydrogène7. Mais pour que le Plan Hydrogène fasse consensus, distribuer des subventions et des soutiens en fonds propres aux entreprises est insuffisant : il faut mettre en cohérence chaque projet et sous-projet pour atteindre l'objectif d’intérêt général de réduction des émissions de CO₂. Pour composer le portefeuille des projets à financer, la différence fondamentale à introduire est une négociation opérationnelle : l'État doit d'abord fournir l'interface qui sert les parties prenantes à imbriquer les solutions les unes avec les autres. Sur des aspects tels que la standardisation des architectures et des produits, l’analyse du marché et les besoins d’investissements de la filière, il faut ouvrir une organisation par la base.

L'État doit continuer d'annoncer les programmes de développement comme il le fait, mais ce sont les parties prenantes qui vont co-budgétiser le financement pour le compte de la puissance publique : elles référencent publiquement les apports qu'elles engagent pour l’intérêt général afin de répondre, dans notre cas, à la réduction des émissions de CO₂ (et pourquoi pas l'augmentation de la production d'hydrogène vert ou la contribution à la production nationale). Chaque apport est chiffré mais il est surtout mesuré et comptabilisé au contrat d'engagements (comme un actif). Et seulement lorsque la combinaison des apports assure véritablement la réduction des émissions de CO₂, et donc transforme pour le compte de l'intérêt général les objectifs du Plan Hydrogène, l'État pourra financer avec précision le Plan Hydrogène.

Prenons l'exemple de Hycco8, une pépite technologique toulousaine capable d'augmenter la durée de vie des piles à combustible. L'entreprise développe des plaques bipolaires et des composites thermoplastiques en fibre de carbone, destinés aux piles à combustible et aux électrolyseurs. Pour s’impliquer dans l'orientation n°1 « Produire de l'hydrogène par électrolyse », l’entreprise peut organiser son financement par le Plan Hydrogène en en référençant les données suivantes :

  • Objectif du financement : décarbonation de l'industrie
  • Apports : hydrogène vert, électrolyseurs, plaques bi-polaires, piles à combustible
  • Valeur ajoutée générée : 630 237,00 €
  • Contribution à la production d'hydrogène : +15,37 % en 46 jours

Nous pouvons imaginer un module d’engagements socio-économiques que propose l'État. Chaque acteur qui s'engage devra rendre publiques ses données financières et comptables. Il s'actualise en temps réel, donne la possibilité d’une boucle d'information et d’un retour permanent sur la valeur des engagements ⤵️

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Module d'engagements socio-économiques - Publication des données financières en temps réel

4. Prototype d'un service public numérique

Nous avons vu comment un acteur, en l'espèce un acteur économique, peut s'interfacer au Plan Hydrogène en mesurant les apports qu'il engage concrètement. Sur des enjeux aussi technologiques, parvenir à un consensus revient à la mise en œuvre du Plan. Pour que la puissance publique vérifie les engagements, elle doit différencier le rôle et la responsabilité de chaque partie prenante. Chacune des positions juridico-financière dans le contrat d'engagements emporte des obligations et des responsabilités spécifiques dans l'exécution intégrale des objectifs définis à l'échelle nationale. C'est le seul moyen pour que l’Etat puisse assurer que l'ensemble des apports produit bien une valeur ajoutée positive pour la communauté nationale.

On peut alors continuer à concevoir l'interface. Les parties prenantes pilotent les apports du projet en publiant un flux opérationnel, qui prouve que les parties prenantes s'associent par leurs contributions mesurées en euros dans le cadre opérationnel fixé par l'Etat (et qui reste évolutif par de nouveaux apports) ⤵️

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Enregistrement d'entrées multiples - Détails de l'imbrication des solutions

Nous voyons la logique partenariale qui est mise à l'œuvre pour l'objectif de définition d’une solution hydrogène sur-mesure :

  • L'association Carbon42 a mené une campagne de sensibilisation auprès des citoyens et des entreprises, expliquant les applications grand public de l'hydrogène et présentant les défis technologiques
  • L'entreprise Hycco Industries a réalisé une étude pour l'implantation d'un site industriel à Hydrogène en Occitanie, visant à sécuriser sous quelles modalités l'hydrogène est une solution pertinente pour le territoire
  • La ville de Toulouse s'est engagée à fournir un site de construction à faible coût pour l'usine, avec un raccordement au réseau électrique de qualité ainsi qu'un accès au transport facilité

Nous avons donc répértorié dans une base de données publiques toutes les relations qui permettent de calibrer le plan, notamment quant aux enjeux techniques, aux applications grand public ou à l'infrastructure publique. Les engagements permettent aux données ouvertes de passer à un niveau supérieur : celui d'un instrument budgétaire partagé entre les acteurs économiques et la puissance publique. Il permet de décortiquer et de mesurer les coûts qui constituent une politique publique. C’est toute la filière de l’hydrogène, de mise à disposition de l'énergie et de la décarbonation qui va pouvoir progresser par une allocation de ressources optimisée en fonction de ce qui est disponible.

Pour conclure, nous sommes passés à une co-responsabilité entre l’offre privée et la demande publique. Les engagements socio-économiques inversent le processus de budgétisation classique de la puissance publique. Ils permettent de mener le calcul micro-économique à l'échelle de l'entreprise, de même que le calcul macro-économique à l'échelle de la collectivité nationale. Tout cela publiquement.

Chaque partie prenante peut calculer son prix de revient compte tenu de ce qu’il va consacrer pour l'intérêt général, et la collectivité nationale peut calculer la valeur ajoutée totale produite pour atteindre les objectifs du Plan Hydrogène. Il y a donc une co-responsabilité entre les parties prenantes qui s'associent pour mettre en œuvre le plan, et sur lequel l'État peut intervenir financièrement par anticipation de la valeur ajoutée à produire.

Sources :

¹ Covid Tracker- Statistiques et visualisations de données Covid19

² Gouvernement.fr - Coronavirus, carte et données

³ Data.gouv.Fr - Plateforme ouverte des données publiques françaises

Élysée.Fr - Conseil National de la Refondation

Élysée.fr - Devenir le leader de l'hydrogène vert, voilà notre objectif avec France 2030 !

Ministère de la Transition écologique - Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné en France

ADEME - Appel à projets - Briques technologiques et démonstrateurs hydrogène

Hycco Industrie - Site de l'entreprise

Published 9 mois plus tôt