Quelle trajectoire électronucléaire pour l’industrie française ?
L'énergie nucléaire reste envers et contre tous l'infrastructure de base de l'économie française. Elle permet de résister aux chocs énergétiques de grande ampleur. Elle donne une lueur d’espoir en termes d'autonomie stratégique. Et elle offre à la France les atouts pour relocaliser ses productions et industrialiser ses territoires.
Sommaire
- Une vision techno-optimiste de l’énergie nucléaire
- La montée en puissance de l'écologie industrielle et territoriale
- Le sursaut industriel grâce à une politique volontariste
1. Une vision techno-optimiste de l’énergie nucléaire
Sans évoquer les déboires d'EDF (perte nette de 17,9 milliards en 2022), les absurdités de l'ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique) et le marché de dupes européen de l'électricité (nous en avions parlé ici en avril 2022), l’Europe est frappée depuis l'invasion de l'Ukraine par un choc énergétique. Les enseignements tirés des chocs pétroliers de 1973 et 1979 nous obligent à rappeler que le déclin industriel de la France, et dans une plus large mesure de l'Europe, est inéluctable avec une énergie toujours plus chère. En effet, on ne peut produire de manière compétitive qu'avec une énergie abondante, de qualité et bon marché. Rebelote 50 ans plus tard : l’électronucléaire français est le moyen de protéger, de relocaliser et d'accroître l'industrie française.
Modèle du genre : le parc nucléaire français produit la meilleure électricité de haute qualité et en disponibilité ininterrompue au monde1. Une capacité de production structurelle qui est née de l'exigence du service public et d'une filière industrielle complète : R&D, production, services, formation et exportations. Les installations nucléaires irriguent notre économie et la production de nos territoires à 70% de la consommation totale d'électricité grâce à 56 réacteurs nucléaires répartis sur 18 sites. L’énergie nucléaire nous assure un facteur de compétitivité-coût favorisant aussi bien la production que les exportations liées aux activités industrielles. L'atome est une arme de souveraineté qui confère à la France une autonomie stratégique (civile et militaire) de premier plan.
Si le savoir électronucléaire est précieux, ce n'est pas tant parce qu'il permet à la France de produire l'électricité décarbonée la moins chère d'Europe2, mais parce que nous pouvons couvrir nos besoins à court terme. Rapidement, l'empreinte carbone des produits et services va devenir le premier facteur de compétitivité, notamment si une TVA kilométrique est adoptée en France ou une taxe aux frontières du marché commun européen. Cela aura une incidence majeure sur les coûts de fabrication et les prix au consommateur : moins un produit manufacturé aura parcouru de distance et plus son prix sera bas. C’est un changement de donne pour notre marché intérieur, mais aussi pour nos exportations face aux produits chinois, américains, allemands, italiens...
Aussi, une nouvelle frontière se dessine : l’hydrogène décarboné. La France se place en championne de l'hydrogène décarboné par électrolyse de l'eau grâce à l'électronucléaire. Elle ambitionne de faire de Marseille la plus grande plateforme à hydrogène décarboné d'Europe avec l'hydrogénoduc H2Med qui connectera le Portugal, l’Espagne, l'Allemagne et peut-être l’Italie. L’hydrogène bas-carbone cristallise les tensions car on reste sur du gaz naturel verdifié et à la demande future incertaine3. Pourtant, la décarbonation ne doit pas être vue comme un nouveau choc, mais comme le levier capacitaire de notre industrie. Le potentiel industriel de l'hydrogène est élevé car il faudra bien, même s'il est difficile de l'entendre pour certains pans de la société, sortir des énergies fossiles en augmentant la consommation électrique.
2. La montée en puissance de l'écologie industrielle et territoriale
La sobriété énergétique est une équation : réduire drastiquement les émissions de CO2, tout en augmentant nos capacités industrielles. En d’autres termes, nous devons accélérer la réindustrialisation en électrifiant les procédés et les usages pour réduire l'impact carbone. C'est l'opportunité de repenser en profondeur les produits, les systèmes de production et ceux de la distribution qui vont remplacer des technologies dites classiques. Notre développement va être plus centré sur le marché intérieur et sur la diversification de l'économie nationale. Trivialement, il va falloir à nouveau tout produire chez nous selon nos choix de consommation. La décarbonation de la production énergétique ouvre la voie à l'écologie industrielle et territoriale4.
C'est dès maintenant qu'il faut alimenter les secteurs « hyper électro intensifs » tels que le train, l'automobile, l'informatique, les batteries, la robotique, l’impression 3D, les objets connectés… Car la question qui hante les industriels est celle du prix de revient, qui dépend du poids de l'énergie dans les coûts de production des entreprises. En plus de réduire leur dépendance à certains composants critiques, les secteurs industriels de l'acier, du ciment, de l'aluminium et du verre sont en première ligne pour repenser leurs procédés industriels. Les aciéries, par exemple, vont produire de l’acier en réduisant les émissions de CO2 jusqu'à 95% avec le recours à de l'hydrogène dans le cycle de production5. C’est notre génie industriel qui se développe dans les secteurs vitaux de l'économie.
L'Hexagone compte 650 sites industriels directement raccordés au réseau de transport d’électricité (RTE) sur l’ensemble du territoire. Il y a de nombreuses boucles d’écologie industrielle territoriale à organiser comme des filières décarbonées. Le fabricant français de batteries Verkor va organiser un site de production et de recyclage des batteries avec des entreprises françaises6. C'est la preuve d'un développement en amont et en aval des chaînes de valeur d'une base industrielle solide qui est bien sûr alimentée à l’électro-nucléaire. On voit donc des écosystèmes industriels territoriaux qui naissent, reprennent forme et évoluent. Ces éco-systèmes doivent atteindre une masse critique de production pour des activités phares et des biens industriels vitaux.
De plus, la trajectoire électro-nucléaire offre un avantage compétitif pour attirer les capitaux étrangers. On le voit avec la concurrence européenne pour les méga-usines de fabrication de batteries. L'interdiction de la vente des véhicules thermiques en 2035 est un défi pour les constructeurs. On pourrait croire que la France serait davantage choisie pour le prix de son électricité la plus abordable d’Europe et du fait qu’elle est le pays européen qui accueille le plus d'investissements étrangers. Or, le véritable problème est celui du financement et plus particulièrement des subventionnements : l’Allemagne a annoncé un plan de soutien énergétique à 200 milliards compte tenu de sa dépendance au gaz russe. Ce qui, au passage, va à l’encontre de la sacro-sainte concurrence européenne7.
3. Le sursaut industriel grâce à une politique volontariste
L'industrie nucléaire nous a fait prendre conscience que la France doit être indépendante, et pour cela, nous avons entrepris un effort national visant à maîtriser l'ensemble de la filière. C'est une politique volontariste qui a donné du sens à notre communauté nationale. Alors, à l’image du Plan Messmer qui annonçait le lancement de 13 centrales nucléaires en 1973, le Président de la République a annoncé le 10 février 2023 la construction de 14 nouveaux réacteurs de nouvelle génération, ainsi que le prolongement des installations actuelles8. Le coût est estimé à 60 milliards d’euros par an avec une mise en route des réacteurs pour 2050, sachant que l'EPR de Flamanville cumule désormais 12 ans de retard sur sa mise en service et une facture multipliée par quatre...
Alors, quels résultats obtenir avec la trajectoire éléctro-nucléaire ? La France peut devenir la terre d’accueil de l'industrie décarbonée qui fera la souveraineté de demain. Sans concession pour l’UE, il faut la qualification immédiate de l’électro-nucléaire comme énergie renouvelable, première source d'électricité décarbonée, non-intermittente et souveraine. Mieux, il faut rapidement développer une alliance nucléaire continentale9. Cet immense atout n’est pas seulement français, mais européen. Aussi, et c'est en route, la création d'un fonds spécial pour assurer un soutien financier à l'industrie avec le Pacte Vert européen devant abonder la relocalisation de chaînes de production et la production de biens industriels intermédiaires sur le continent10.
Bien sûr, on se demande si c’est suffisant pour rester dans le jeu industriel face aux Américains et aux Chinois. La survie à court terme de nos usines relève un enjeu majeur de souveraineté : si on perd nos usines de production, on dépendra presque totalement du reste du monde. La volonté de se réindustrialiser n'est pas une préoccupation purement française. Les États-Unis affichent des ambitions similaires avec le Inflation Reduction Act (Loi Réduction de l’Inflation) qui commence à déverser les 400 milliards de dollars de subventions pour réindustrialiser les États-Unis11. Déjà, des industries allemandes y sont délocalisées et des projets d'implantation sont avortés à cause des coûts prohibitifs de production allemands, engendrés par le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 212.
Traditionnellement, la France a misé sur des domaines d'excellence : aéronautique, boissons, parfums et cosmétiques. Mais c’est le niveau industriel intermédiaire, le maillage productif entre les TPE/PME et les grands donneurs, qui manque. Il faut le combler avec les ETI qui vont assurer les chaînes de valeur pour les véhicules, les appareils électroniques, les matériaux, le textile, etc. Ces écosystèmes mettent l'accent sur l'importance de la proximité entre le lieu de production et le lieu d'innovation. Pour approfondir, je vous renvoie vers mon article qui explique les néo-industries, des organisations hybrides public-privées qui structurent les capacités de financement des projets industriels. La nouvelle industrie devra savoir imbriquer les réseaux et la production manufacturière.
Dans l'immédiat, il n'y aura pas de relance industrielle sans une trajectoire électro-nucléaire, celle-ci fournissant une infrastructure critique pour nos activités industrielles phares, nos biens intermédiaires et nos services publics vitaux.
Sources :
¹ Institut Choiseul & KPMG - Baromètre mondial de la compétitivité énergétique des Etats ↩
² Thinkerview - EDF : Saccagé délibérément par l'Europe ? Entretien avec Henri PROGLIO (vidéo) ↩
³ Les Echos - Opinion | Hydrogène : H2Med, un gazoduc déguisé ? ↩
⁴ Ministère de la Transition écologique - L'écologie industrielle et territoriale ↩
⁵ L'Usine Nouvelle - [Dossier CO2] L'hydrogène à la rescousse des sidérurgistes ↩
⁶ La Croix - Batteries : l'Etat alloue 30 millions d'euros à deux projets de recyclage ↩
⁷ Les Echos - Energie : le plan à 200 milliards de l'Allemagne dans le viseur de Margrethe Vestager ↩
⁸ Vie Publique - Projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes ↩
⁹ Euractiv - Paris prépare une « alliance du nucléaire » en Europe ↩
¹⁰ Commission en France, Représentation en France - Pacte vert : un plan industriel pour la compétitivité de l’industrie européenne neutre en carbone ↩
¹¹ Le Monde - Chronique de l'économiste Jean Pisani-Ferry : « L’Inflation Reduction Act américain pousse à s’interroger sur la stratégie de l’Union européenne en matière climatique » ↩
¹² Siècle Digital - Inflation Reduction Act : Tesla préfère investir aux États-Unis plutôt qu’en Allemagne ↩