Que se passe-t-il avec le phénomène des indie hackers ?
Quête d’autonomie et d’indépendance financière ou désir de parcourir le monde avec son ordinateur sous le bras et de travailler au soleil, beaucoup d’indépendants adoptent un mode de vie nomade et ultra-connecté. Les plus débrouillards en informatique se tournent vers la conception et la vente de petits services numériques en ligne. Ils répondent au nom de « indie hackers », soit des créateurs qui, dans notre définition française, sont des auto-entrepreneurs.
Une vie hors norme. Depuis 2010, ces indépendants ont imaginé un mode de travail offrant la possibilité de vivre de leur production, hors du cadre classique de l’entreprise. Le mantra du indie hacker, pourrait se résumer ainsi : développer ses propres idées de produits en autofinançant des services numériques à moindre coût. Pour y parvenir, il propose de coder des outils pratiques qui engendrent des ventes rapides. Tout se déroule en mode projet, souvent plusieurs à la fois, sans qu'il ne soit nécessaire de fonder une société (et de subir la lourdeur administrative et juridique que cela implique). Pour gagner de l’argent de manière indépendante, le indie hacker génère des revenus directement auprès de ses clients, en proposant des petits outils payants clé en main, sans avoir à répondre à un employeur. Voyons de plus près le fonctionnement de ce mouvement qui surf sur le « tous entrepreneurs ».
1. D’abord activer sa communauté professionnelle
Pour séduire et engager sa communauté, un indie hacker fait d’abord valider ses idées et ses avancements par ses pairs. Indispensable, sa présence sur X, des forums ou des sites dédiés aux lancements de projets à l’image de Product Hunt, lui offre la possibilité de confronter son projet à des communautés qualifiées. Dans le cas de Product Hunt, la plateforme lui permet même de se soumettre aux votes. Plus encore, cet échange lui permet de confier ses doutes à d’autres « solopreneurs » qui développent aussi leurs projets et ainsi d’ouvrir un riche partage d’expérience. Avec 30 000 membres actifs juste sur le forum Indiehackers.com, on recense pléthore de conseils, de bonnes pratiques et de tuyaux. Le but : réussir à générer parfois, pour les meilleurs d’entre eux, jusqu’à 80 000€ par mois seul pour un service.
Très vocaux, les indies hackers forment une communauté dynamique qui favorise une grande transparence et une liberté d’échange entre créateurs sur leurs projets. Au sein de la communauté, tout est délibérément rendu public : des idées à la conception, les développements techniques, les outils du no-code, la commercialisation, la promotion et même les revenus perçus. L'objectif est que chaque membre s’autonomise, en partant du principe que le travail assidu et sa bonne exécution suffisent pour engranger des revenus si on cible les bons utilisateurs. Tant pis si cela peut parfois entraîner des exagérations et des mensonges. Ici, l’affirmation de soi-même passe par la promotion tout azimut de son projet indépendant pour être reconnu socialement par la communauté.
Dans des projets à succès tels que Pallyy, un gestionnaire de contenus pour les réseaux sociaux destiné aux marques et aux agences web, on peut trouver des modes d’emploi du type « Voici comment j'ai développé Pallyy en solo avec un revenu mensuel de 74 000$ » (en anglais). On trouve aussi une succession de tutoriels pour apprendre soi-même, des tactiques pour trouver ses cent premiers clients, des fonctionnalités à intégrer suite aux retours utilisateurs et des outils gratuits à utiliser. Les choses sont mises en récits de façon à faire reluire autant les échecs que les réussites. En filigrane, l'idée que tout le monde peut y parvenir, en passant de niveau en niveau, comme si on suivait des entraînements. On se croirait dans un jeu-vidéo de l’entrepreneuriat.
2. Plongé dans le monde de la micro-entreprise connectée
Cette promesse d’une rentabilité rapide est forcément séduisante : elle se résume à créer le produit, que l’on développe individuellement sans passer par la case recrutement ni avoir à manager une équipe. Passons en revue les catégories de projets les plus représentatifs de ce que ces indie hackers déploient en ligne.
- Librairies graphiques et interfaces utilisateurs réutilisables : UntitledUI ou ShadcnUI
- Générer les pages d’un site internet automatiquement par IA : MakeLanding ou Uncody
- Répertoire NextJS pour mettre en production un service numérique en 5 minutes : ShipFast ou Shipixen (que je bêta-teste personnellement)
- Transformer une page Notion en site internet en moins d’une minute : Simple.ink ou Super
- Outil de référencement naturel pour les éditeurs de logiciel-services : SaaSpad ou SaaS Pages
- Formations en ligne pour créer et lancer un service sans codage informatique : Punks du Web ou Readmake
- Un compagnon architecte d’intérieur qui génère votre décoration par IA générative : Interior AI ou Reimagine Home
En explorant les produits depuis #BuildInPublic, #NoCode et #IndieHacker, on constate que beaucoup se résument à des tentatives, des gadgets ou de pâles copies de fonctionnalités existantes. Engranger des bénéfices s'avère difficile malgré la facilité de déploiement en ligne. Sur 937 produits analysés avec des données de revenus vérifiées, plus de la moitié ne génèrent aucun revenu, la moyenne est de seulement 2 000€ par mois, et seuls 5 % dépassent les 8 000€ mensuels1. Vivre en tant que solopreneur à Bali avec 2 000€ est possible, et la promesse d'un mode de vie libéré et d'une relation au travail épanouissante peut dans ces conditions, être tenue.
Inévitablement, il y a les entrepreneurs vedettes qui vont jusqu'à publier en temps réel les données financières de leurs services et les revenus mensuels générés dans leurs statuts de compte sur X (Twitter) : Levelsio, Pierre de Wulf ou Sahil Lavingia. Ce dernier, fondateur de Gumroad (à l'origine un projet indie hack de commerce en ligne ultra-simplifié) explique sans détour comment les choses se sont mal passées avec le fonds d'investissement qui avait investi dans son projet. À sa manière, sans altérer son image de porte-parole du mouvement, il contribue à dédramatiser les difficultés que peuvent rencontrer les professionnels solitaires dans ce type de parcours.
3. En somme, un système clos ?
Si l'on entre dans le détail des transactions, on remarque que ce sont surtout les indie hackers qui vendent des services à d’autres indie hackers. Seule une poignée d'entre-eux parvient à dépasser le stade de simples services adressés aux indépendants, et commercialise aux marques et aux professionnels d’autres secteurs. Aussi, les fondateurs qui réussissent finissent par structurer le projet en une véritable société s’ils veulent poursuivent leur croissance, malgré leur rêve initial d'une totale autonomie. Par exemple, Gumroad qui a démarré comme un projet indépendant est désormais une société qui emploie plus de cent personnes à travers le mode, avec pour spécificité de ne proposer que du travail à temps partiel.
Ce qu’il y a d’intéressant dans ce cas précisé, c’est l'organisation hybride du travail qui est proposée, et dans laquelle on peut lire une marque de fidélité aux fondements libertaires du mouvements. D’ailleurs, le même fondateur pousse fort pour conserver cette ligne du « rapport au travail » en développant une société, et non un indie hack cette fois-ci, appelée Flexile. On en revient presque à une bourse du travail payée à l’heure, entre 125€ et 175€ l’heure pour un ingénieur informatique. Ce modèle d’entreprise flexible suscite un vif intérêt dans cette sphère car il reprend le point d’origine du indie hacker : l’autonomie. Quitte à vivre dans un paradis fiscal et le revendiquer pour commercialiser un service de recrutement comme Move Virtual, forcément moins cher puisque sans impôt ni taxe.
C’est la conclusion que l’on peut en tirer : les indie hackers dont les projets ne décollent pas pourront maintenir un travail plus flexible en intégrer les entreprises qui cherchent des indépendants qualifiés à distance. Une nouvelle génération d’entreprises décentralisées est en train de naître où leur force de travail est répartie au quatre coins du globe. La suite de l'aventure ? Une plateforme de indie hackers pour les indie hackers évidemment, où quiconque peut choisir son rythme de travail, partiel ou à mi-temps. Avec, en bonus, la capacité de passer d’une entreprise à l’autre, de collecter des participations financières et de développer sa crédibilité au sein du réseau2. De quoi pousser plus loin les valeurs du indie hacker.
En fin de compte, il est captivant de constater comment les indie hackers partagent leurs connaissances et les enseignements, en tant que mentors et constituent une source d'inspiration pour de nombreux créateurs indépendants. Ces travailleurs nomades aspirent à redéfinir leur rapport au travail et n'hésitent pas à revendiquer un autre mode de vie.
Sources :
¹ Scraping Fish - Combien d'argent gagnent les produits des indies hackers indépendants ? (en anglais) ↩
² Part-Time Tech - L'avenir des entreprises flexibles, entretien avec Sahil Lavingia (en anglais) ↩