Nouvel équilibre du monde : quel rôle pour la France ?

Introduction

Qu’il est difficile de prendre de la hauteur et d’apporter du sens à notre époque. Pour sortir de la photographie de l’immédiat, et faire preuve de discernement sur la situation géopolitique mondiale, il convient de faire les liens qui apportent de la compréhension. Je me risque à l’exercice en me plaçant sur un point : l’indépendance d’esprit fondée sur l'observation, où la raison et l’esprit critique nous permettent d’appréhender la réalité sans être frappé d’anathème.

Dans l’Histoire, il n’y a pas de hasard, mais des lignes de forces provenant du passé qui ressurgissent brusquement. L’Histoire revêt un intérêt tout particulier : elle permet de comprendre le temps présent, mais elle sert surtout à prévoir l'avenir. Et ce n’est que lorsque les événements s’enchaînent et s’achèvent, que l’on peut saisir le sens de l’Histoire. Alors, allons puiser dans les événements anciens, pour mieux anticiper le rôle de la France dans le monde.

Cet écrit est un plaidoyer en faveur de l’indépendance française, une notion qui, à mon humble avis, est plus cruciale que jamais. La souveraineté de la politique étrangère française est attendue dans le monde, elle peut retrouver sa lumière et proposer à tous cette voix de l’indépendance. Nous serions bien inspirés de nous remémorer notre propre histoire nationale, afin de nous rappeler que la France a eu et a toujours un message à faire passer au monde.

Sommaire
  1. Une indomptable volonté d’indépendance
  2. L’indépendance nationale demeure un cap à tenir
  3. La Grandeur nous manque cruellement
  4. La nouvelle donne géopolitique est notre opportunité
  5. Refusons les fausses fatalités de l’Histoire
  6. La France doit se reconsidérer singulière pour intégrer les BRICS

1. Une indomptable volonté d’indépendance

La conquête de la souveraineté nationale est le fil de l’histoire française. La France est une construction politique par essence. La France et les Français ont été créés par un État et par un État monarchique-chrétien, celui des rois capétiens qui est l’un des plus anciens du monde. La France, fille aînée de l'Église, s'est édifiée en opposition au pouvoir de la Papauté pour exister en tant que telle, avec son peuple, ses frontières et sa nation. Elle est un État-nation animée d'une volonté d'indépendance millénaire. Avec la Révolution, le monde a compris que l’esprit français, c’est faire triompher la volonté du peuple et défendre la liberté. C’est ce cadre fondateur de l’indépendance nationale qui a bouleversé l’Europe, et qui subjugue encore tant de peuples à travers le monde.

Dans l’histoire du Premier Empire, le mode de raisonnement et la culture juridique et étatique des français au début du XIXè siècle est en rupture totale avec le reste de l’Europe. Le mode de pensée de Napoléon, qui fait grandir le territoire français sur la Prusse, la Hollande, l’Italie, l’Espagne, la Belgique et la Suisse, est de construire un ordre politique au sens positif du terme. Il réalisa de profondes réformes institutionnelles, du droit, du fonctionnement administratif et économique des pays rattachés à l’Empire. Lorsque les Français se sont retirés, l’État moderne a été préservé car l’optique de l’Empire n’était pas simplement de conquérir et de s’approprier des territoires, mais d’ériger un modèle politique composé des républiques qui assembleraient l’Europe.

Cette construction étatique et leurs institutions politiques ont forgé les nations européennes naissantes jusqu'à nos jours. La volonté française quant à elle, restera perçue et crainte par les monarques et les dirigeants d’Europe comme le violent désir de liberté politique et sociale. La souveraineté, qui est le mobile de toutes les nations à l'égard de la France, revêt en même temps la voix politique que tous les peuples du monde peuvent enchanter à leur tour. En plus de cet esprit franc révolutionnaire, l’aura d’une Nation, qui répond aux souverainetés populaires, aux spécificités nationales et aux intégrités territoriales des États, y compris pour les plus faibles, sera seule reconnue et attribuée à la France.

2. L’indépendance nationale demeure un cap à tenir

« Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde ». Ces mots de Charles de Gaulle à Londres en 1941 prônent l’esprit de la résistance : le refus de se soumettre au nom d’une prétendue fatalité, même si tous les éléments montrent le contraire, afin de résister pour l’honneur d’un peuple et au nom de l’indépendance. Cette citation illustre la tradition universaliste de notre politique étrangère qui peut inverser le cours des évènements, donnant à la France son esprit si particulier sur la scène internationale. À la sortie de la guerre, de même qu’avec le retour du Grand Charles aux commandes en 1958, la France est admirée par le monde entier et une grande partie des nations la perçoit comme l’interlocutrice des grandes affaires du monde.

Les discours du général de Gaulle ont été marqués du sceau de cette philosophie, que ce soit à Mexico, au Québec ou encore à Phnom Penh, devant un stade de cent mille personnes voulant entendre la voix de la France. Cette démarche ouvre les portes de la plupart des pays, qu'on appelait alors le Tiers-Monde, au principe d’émancipation. De Gaulle visionnaire est le premier à reconnaître la Chine populaire en 1964. La France développe ainsi une politique de coopération tenue pour légitime. Au-delà des alliances historiques, notre politique étrangère revendique le caractère multilatéral du monde comme étant libre de toute allégeance, indépendante des blocs et des considérations idéologiques simplistes.

Le principe même du non-alignement, de l’indépendance stratégique des pays par rapport à l’impérium américain, c’est un principe gaulliste et français. C’est exactement pour cette raison que la conférence de paix de 1973 pour mettre fin à la guerre du Vietnam s'est tenue à Paris. Cette position unique dans le monde et pour le monde porte le rôle pacificateur de la France. Cette spécificité française a connu son plus beau fait de gloire en 2003, avec le refus français de participer à l'invasion de l'Irak, décidé par l'hyperpuissance américaine au nom d'un argumentaire mensonger et hostile. Jusqu’au refus de la guerre en Irak et du non-suivisme français, la France est restée la voix précieuse et singulière jouissant d’un prestige diplomatique international.

3. La Grandeur nous manque cruellement

Depuis cette date de mai 2003 à l’ONU, nous avons vu s'estomper la plupart des spécificités de notre politique étrangère. La classe dirigeante française a ainsi décidé en 2007 du retour de notre pays dans le commandement intégré de l'OTAN. Via l'article 42 du TUE, nous reconnaissons même dorénavant un rôle à l'OTAN dans la défense des États membres européens, reléguant à une chimère la défense de notre propre continent. Contre nos intérêts profonds, nous avons multiplié les décisions teintées d'irréalisme politique : le renversement du régime de Kadhafi, le refus du dialogue avec Bachar Al-Assad, l’incapacité à faire vivre l'accord nucléaire avec l'Iran et l’échec à faire respecter les Accords de Minsk entre la Russie et l’Ukraine pour préserver la paix en Europe.

Tristement, beaucoup estiment qu’il n’y a plus en France ni force ni ressource pour nous affirmer comme nous le faisions. Nous sommes devenus un paisible spectateur sans la singularité d'antan. Nous avons soutenu des révolutions de couleurs qui ont renforcé l'influence des États-Unis en Europe de l'Est et dans les Balkans. Dans les années 2000, à une époque où Poutine et Medvedev n'avaient pas encore adopté une posture belliqueuse, il y avait les opportunités d'une coopération stratégique. Cependant, nous avons rejeté catégoriquement leur proposition de créer une nouvelle architecture européenne de sécurité, préférant conserver l'ancienne, celle de l'époque de la guerre froide. Ce refus a contribué à radicaliser les positions russes et à favoriser le rapprochement actuel entre Moscou et Pékin.

Au Moyen-Orient, la Chine et la Russie se sont engouffrées dans le vide que nous avons laissé, souvent au détriment des forces modérées de chaque pays et du dialogue un Occident très américain. Chose inouïe, la Chine est parvenue à réconcilier les deux grandes puissances musulmanes que sont l’Arabie Saoudite et l’Iran. La fragmentation du monde recompose des pôles de puissances multiples et nous entrons à nouveau dans un multilatéralisme de fait, qui résulte de rapports de force inédits et non d'un altruisme extra-occidental. Ces ruptures inédites obligent à une nouvelle lecture et à une nouvelle stratégie de la puissance française sur l’échiquier mondial, à la fois sur les fronts géo-stratégiques eurasiatique, oriental et pacifique.

4. La nouvelle donne géopolitique est notre opportunité

Dans cette nouvelle donne géopolitique, pourvue qu’elle renoue avec la tradition qui a fait sa puissance, des rois capétiens au Général de Gaulle, la France a beaucoup plus de cartes que ce qu’elle ne le pense. D’abord, elle seule en Europe à la main pour porter l’indépendance des nations face à l’atlantisme. La France est une puissance méditerranéenne qui, par son immense domaine maritime, le premier ou le deuxième du monde selon les calculs, est en mesure d’occuper des positions clés dans la nouvelle donne mondiale : pensons à ce que signifient, géo-politiquement parlant la Guyane, la Réunion, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie. La diagonale terrestre et la maîtrise des océans sont à mettre en œuvre avec cohérence et constance dans cette partie du monde que nous avons bien trop délaissé.

Entre Occidentaux, la rivalité est extrêmement vive. Nos territoires d'Indo-Pacifique sont la proie d'une rivalité entre grandes puissances, les plus avides de nous en arracher l’influence étant les Etats-Unis qui dictent l’Accord AUKUS. Un tel accord militaire anglo-américain nous repositionne inéluctablement. Il faut agir sans faire table rase du passé, ni développer une pensée a priori. En prenant de la hauteur, l'axe anglo-saxon est poussé par son hubris et ne se rend pas compte de son isolement. La réponse française doit être la première à affirmer au monde que « nous Occidentaux, nous ne sommes pas seuls ». Il faut clamer que « nous ne sommes pas meilleurs ». Il faut parler au monde en termes de souverainetés et nouer de nouvelles alliances diplomatiques.

Sur le plan de la mondialisation, les recettes du libre-échange, de la compétitivité, de la primauté des marchés et de la concurrence baissent. Ce consensus de Washington des années 1980, qui s’est imposé comme la doxa néolibérale, est en train de s’effriter. L’ordre international fondé sur la puissance américaine ne nous est plus d’une grande utilité aujourd’hui, si ce n’est être prisonnier des velléités étasuniennes. Il faut donc viser à l’Est et en direction du « Sud global » pour prendre part au nouvel environnement international. L'un des objectifs politiques urgents, car la France reste un acteur géostratégique essentiel, est de s'y atteler de manière autonome sans le concours de l’Union européenne, en défendant radicalement nos politiques commerciales, notre relation au reste du monde et notre positionnement militaire.

5. Refusons les fausses fatalités de l’Histoire

La France a un atout majeur : une tradition de politique étrangère fondée sur l'indépendance, la souveraineté et le multilatéralisme. Cette indépendance stratégique n'était pas pour autant un doux rêve et a pu coûter cher. Mais elle reposait fièrement sur la nécessité pour la France d'arbitrer elle-même ses choix dans le respect de ses propres intérêts, de ses propres valeurs. Il y a des formes d'équilibre et d'indépendance. Il y a aussi des formes de régulation globale du monde, et on ne peut pas être un grand pays sans avoir une influence globale. Cette défense de toutes les indépendances nationales, qui avait été portée fièrement par de Gaulle, ne s'est pas arrêtée avec lui. C’est d’ici que nous devons nous réarmer moralement.

Cette doctrine a en réalité perduré sous des formes plus ou moins marquées jusqu'à nos jours. Elle a permis de consolider notre souveraineté, de préserver notre capacité à décider librement de notre avenir et à défendre nos valeurs. J'oserai même dire qu'elle a largement et encore contribué à forger notre identité nationale singulière. Nourrir notre différence, c'est ce qui nous distingue des autres nations européennes. C'est ce qui fait que nous pouvons aujourd'hui tenir notre rang de puissance mondiale, c'est-à-dire une puissance qui compte dans un monde multipolaire. C'est ce qui nous permet de revendiquer notre statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et d'occuper une place de choix au sein des organisations internationales.

Il nous appartient de poursuivre cette politique d'indépendance grâce à notre réseau d'ambassades et de consulats, le 3ème plus influent au monde après les États-Unis et la Chine. Or pour cela, nous devons être lucides sur l'état du monde. Le monde a changé depuis l'époque du général de Gaulle. La bipolarité de la Guerre froide a laissé place à une multipolarité plus complexe. Les États-Unis et la Chine sont les deux grandes puissances qui structurent cette multipolarité. Leur rivalité stratégique est devenue un des traits dominants de la scène internationale. Le monde est également confronté à des enjeux globaux tels que le changement climatique, la pandémie de COVID-19, les migrations massives, les cybers-menaces, les délocalisations etc.

6. La France doit se reconsidérer singulière pour intégrer les BRICS

La France doit opérer une convergence tactique sous la forme d’une alliance de revers qui la desserre de la tenaille sino-américaine. Les Français ont longtemps maintenu une position de non-alignement vis-à-vis du mercantilisme anglo-américain. La candidature de la France aux BRICS est complexe, car cette organisation vise principalement à attirer des pays non-alignés en faveur de la Chine et la Russie. Cependant, notre atout réside dans notre singularité : la culture d’indépendance républicaine française, c’est l’âme des BRICS. Notre opposition à l’hégémon américain marque encore les esprits. Tant que la France n’aura pas réaffirmé ce précieux héritage, les nations du monde pourront remettre en question notre crédibilité, et notre influence pourrait ne pas se raviver.

L'opportunité se présente à un moment propice, car actuellement les BRICS ne sont que l'association d'actionnaires d'une nouvelle banque de développement, alternative à la Banque mondiale, avec une prédominance chinoise en termes de capitaux. Les réunions régulières entre les membres sont souvent l'occasion de poignées de main devant les caméras pour affirmer un rôle sur la scène internationale. Malgré leur élargissement et leur envergure colossale en termes de population, de PIB et d’infrastructures, la réalité diplomatique et leur force d'influence n'ont pas réellement affronté l'Occident. Le projet semble manquer de cohérence, d'une direction claire, et il ne dispose ni de règles communes, ni de principes de solidarité bien établis.

La France a l'opportunité d'apporter une contribution exceptionnelle en tant que puissance d’équilibre aux BRICS, en développant une politique de coopération et de dialogue renforcée, tout en préservant son indépendance et en défendant ses principes. Ce n'est pas simplement un transfert d'hégémonie mondial dont il s’agit, mais l'émergence d'une nouvelle sphère géopolitique, un contre-modèle inédit. L'effritement du mythe américain et de la mondialisation comme source de paix et de prospérité devient évident. Le monde se redéfinit et s'organise, répondant aux besoins fondamentaux de la majorité des pays non-alignés qui inaugurent une nouvelle ère de la souveraineté et de l'alignement des intérêts. La montée en puissance de l’Asie, la déstabilisation de l’influence américaine, l’émergence de volontés de puissances et la reconfiguration d’un monde multipolaire rebat les cartes.

L’audace nous permettra de frapper un grand coup et nous positionner géopolitiquement pour les prochaines décennies. La France doit cesser de renoncer à elle-même et s'avancer en tant qu puissance géopolitique. Pour elle, oser dire non à l’impérialisme américain, c’est s’ouvrir aux multiples et nouvelles sphères du monde.