La rupture monétaire qui s'annonce
La monnaie est fascinante dans le sens où elle est l'outil qui concentre la somme de nos confiances. C’est parce que la monnaie est l’expression d’une valeur que chacun saisi d'instinct, qu'elle est fondamentale pour l'organisation des rapports sociaux ainsi que l'échange de biens et services.
Mais la monnaie est-elle adaptée aux besoins et ressources de notre ère ? Au vu des évolutions techniques de la monnaie, comme les crypto-monnaies, des activistes utilisent le médium-argent comme arme citoyenne parce qu'elle modifie profondément l'expression de nos volontés politiques.
Monnaies programmables
Comment fonctionne une monnaie codée en programme informatique? C’est ce qui intrigue de prime abord. La transmission électronique de l’information, partout et instantanément en flux, a ouvert ces dix dernières années une innovation monétaire radicale souvent résumée par cryptomonnaie. Via le réseau de communication Internet, des programmes informatiques encodent des processus qui définissent l’émission, la circulation et l'évolution de monnaies, hors du système des paiements traditionnels.
Ces nouvelles monnaies numériques ou cryptomonnaies forgent l'outil-argent digital afin de développer des possibilités inédites. Une monnaie-logicielle implique de lui donner des instructions, d'en régler les paramètres, de la mettre à jour pour l’améliorer. Elle devient reconfigurable à l’infini, comme une matière dont on peut transformer les formes et les propriétés, pour qu’elle s’adapte aux besoins sociaux. À ce jour, chacun peut émettre sa propre monnaie à partir d’un simple formulaire web en quelques clics.
La monnaie numérique est un objet épigraphique, c'est-à-dire qu’il porte les inscriptions permettant d’en retracer l’histoire. Dans les crypto-monnaies, chaque unité de compte a une mémoire qui lui est propre (sous forme de chiffrement mathématique). En ce sens, la monnaie est bien la mémoire de l’argent, permettant d’en retracer toutes les actions. N’importe qui sur Terre peut s'improviser auditeur, surveiller la provenance de l’argent et vérifier entre les mains de qui elle a été échangée.
L’argent classique n’a pas d’odeur, c’est ce qui fait l’universalité de ses échanges. Mais avec cette qualité vient son lot de problèmes. L’argent est perçu comme l'intermédiaire toxique qu'on doit utiliser, sans toujours savoir d'où il provient. 1€ peut passer autant dans les mains d’un mafioso de la Camorra, d’un délinquant financier de chez Goldman Sachs, ou du petit patron qui rémunère ses employés. Quid d'un monde où on organisera les transactions en tenant compte de ce pour quoi la monnaie a précédemment servi ?
C'est toute la structure des échanges qui bascule. Les techniques de l'argent peuvent traduire des choix plus éclairés. On peut définir des valeurs auxquelles une monnaie sera affectée, comme un cercle spécifique de création de richesse. Elle sera conçue, développée, testée, reconfigurée et diffusée de manière collaborative. Déjà, de nombreux collectifs créent et font évoluer des monnaies qui mettent en commun leurs individualités. La liberté d'innovation dépasse celle de l’argent arbitraire.
Socialité monétaire
Si à sa racine, la monnaie est un langage, et l’argent une forme de communication, voici l'application qui exprime mes valeurs. Pour nous dire les uns aux autres combien nous valorisons un produit, un service, un geste, nous l'utilisons comme base d’interaction sociale, pour nous entendre sur la valeur des choses. Nous créons du lien social à chaque fois que nous transposons de la valeur et contribuons à une économie propre. On imagine ainsi un corps social dans lequel des millions de monnaies échangent conjointement.
Les crypto-monnaies peuvent s’agréger les unes aux autres (inter-opérables). On peut donc intégrer plusieurs notions de richesses qui ne résument plus à transacter de A à B. Ces monnaies intelligentes sont multidimensionnelles, peuvent se combiner à l’infini. Elles ont de libre ce qu’elles peuvent exprimer, à savoir toutes les richesses tant qu'elles sont collectivement partagées. L’argent classique deviendra rapidement une technologie désuète qui ne rendra plus compte de l’état de notre monde.
Comprendre par l'apprentissage à quoi sert véritablement l’argent, ce à quoi il est employé chaque jour, aura des implications lourdes. La monnaie n'est plus que physique, en pièces, billets ou chèques. Les cryptomonnaies évoluent seulement à l'état numérique, en flux informationnels. Des flux monétaires donc, qui jouent le rôle de régulateur social puisqu'il faut respecter des règles d'utilisation. Intégrer un réseau monétaire comme l'agriculture responsable en circuit-court implique en suivre l'éthique.
Peu importe son émetteur, leur adoption est facile car leur valeur dépend de l’accord implicite des utilisateurs. Ces monnaies deviennent le moyen d’exprimer ce qui nous semble juste à un moment donné. Nous allons juger ces monnaies selon les croyances qu’elles portent, de même que leurs valeurs leur seront conférées à mesure que des groupes se les approprient. Comme mode de transaction, elles exprimeront la somme des désirs personnels, chacun pouvant incarner ses valeurs par rapport aux autres.
Enfin, une monnaie qui sert d’arbitrage de ses propres choix, d’expérience par le vécu, prend le rôle d’une intelligence collective. Une intelligence encodable dans des applications pour en distribuer les usages innovants et accessibles. La monnaie configurable se conçoit pour répondre premièrement à des besoins individuels, et progressivement fédérer autour de buts communs. Et c’est là tout leur prodige : ce n’est plus qu’une question d’argent, car elles dépassent l’outil de règlement classique des échanges marchands.
Leur concept revient au point de départ : celui du langage de la richesse, de la coordination par le consensus.