En avant vers la dédollarisation du monde ?

Avant-propos

Avant toute chose, je vous invite à visionner ce documentaire exceptionnel diffusé sur Arte : Poutine, l’irrésistible ascension réalisé par Vitaly MANSKY. Le réalisateur nous apporte un angle immersif inédit au cœur de l’accession au pouvoir de Vladimir POUTINE, le 31 décembre 1999. Le documentaire apporte de l'intérieur les clés de lecture du processus de reconstruction d'une Russie encore traumatisée par la chute de l'URSS.

Sommaire
  1. Partir du processus historico-politique
  2. La stratégie russe de défense économique
  3. Des trains de sanctions occidentales
  4. Tout pour protéger sa forteresse économique
  5. Un contre-attaque préparée aux rétorsions
  6. Au final un affaiblissement étatsunien du dollar

Partir du processus historico-politique

Suite à l’effondrement de l’URSS le 25 décembre 1991, la Russie est passée en quelques années d'un système planifié et administré par la nomenklatura, à un système libéral sous le contrôle des oligarques. Ce passage du communisme au capitalisme est un cataclysme face auquel l’État russe, ruiné et défaillant, n'exerce plus aucune autorité politique. Par subversion du politique, les milieux d'affaires accapareront le pouvoir de l'État. Profitant du délabrement de la puissance publique, les oligarques vont s'emparer des biens publics et des richesses naturelles du pays en constituant leurs conglomérats privés dans des secteurs clés : agriculture, énergie, télécoms, médias, banques, défense…

Une manœuvre de corruption politique et de spoliation financière1 qui, dans le même temps, portera Vladimir Poutine au pouvoir. Oui, Vladimir Poutine fut à l’époque pressenti comme l’homme apte à édifier le régime politique qui mettrait au pas l'oligarchie financière. Chef du gouvernement sous Boris Eltsine, et présenté comme un sauveur dont la mission serait de rebâtir un État fort, il allait protéger la Russie du pillage financier et des ingérences extérieures. Le nouveau Président de la Fédération de la Russie s'imposa comme le restaurateur d'une nation déchue, le digne défenseur du peuple russe capable de lui rendre sa pleine fierté. C'est le point de départ du récit poutinien.

Cet aspect fondateur est caractéristique de la temporalité d'un régime pour Néo-Tzar. Le Président russe ne sera pas un politicien occidental qui part à la chasse aux voix pour se faire élire, s'appuyant sur du lobbyisme pour être financé et cherchant à manipuler les consciences à coups de petits narratifs médiatiques. Les Russes appellent ce trait du régime la verticale du pouvoir2 : la subordination à un seul homme de toutes les forces du pays, du parlement aux entreprises en passant par les administrations. Depuis son Kremlin (forteresse), Vladimir Poutine administre une partie du monde dont la surface d'action est immense, conduit unilatéralement et totalement sa politique.

Bien sûr, le récit nationaliste poutinien prône une méfiance à l'égard de l'Occident et inculque d'absolu l'identité d'un peuple, conformément à une tradition ni occidentale ni orientale, mais qui se veut russe. Représentant des nationalités de la Fédération de Russie (la citoyenneté est différenciée de la nationalité), Poutine pioche dans la nostalgie de l’URSS lorsqu’il rétablit le drapeau soviétique pour le régiment présidentiel (Garde présidentielle du Kremlin) ou qualifie la disparition de l’URSS de « plus grande tragédie géopolitique du XXe siècle ». Le cadre idéologique à toute décision politique est limpide : mêler la grandeur soviétique à une Russie restaurée et conquérante.

En quelques années, Vladimir Poutine allait neutraliser la minorité d'individus qui avaient oligopolisé le pouvoir de l'État. Ce que la presse appelait « le gouvernement des septs banquiers » est renversé lorsqu'il nationalise les grands groupes industriels du pays et interdit les investisseurs étrangers dont certains étaient actionnaires majoritaires. Mais ce n'est que pour placer ses adjudants que Poutine, pour les 64 plus grandes compagnies russes qui ne seront plus plus contrôlées par l'Etat, acceppte qu'elle resteront dans les mains de huit groupes d'actionnaires3. La refondation de l’État exige d'embastiller les oligarques. Des têtes tombent.

La stratégie russe de défense économique

Quand Poutine hérite de la fonction suprême en 1999, la Russie est lourdement endettée. L’État en faillite doit rééchelonner sa dette héritée de l'ex-URSS, qu'il ne peut pas rembourser et qu'il a négocié par la série d'accords avec le Club de Paris4. La position débitrice de l'époque nous donne une idée de la situation financière du pays : la dette extérieure de la Russie vis-à-vis des États du Club de Paris s'élève à 150 milliards d'euros soit 110% du PIB5. Huit années après la fin de l'URSS, l'État russe est un nain économique. À titre d'exemple, le total des dépenses de la France à la même période est de 1408 milliards d’euros, soit quasiment 10 fois plus.

Pourtant, le redressement économique de la Russie sera fulgurant. Sept ans après la prise de fonction de Poutine, nous amenant en 2006, la Russie règle ses dettes par anticipation au Club de Paris. La raison principale ? La captation de la rente énergétique par l'État. Le pétrole et le gaz naturel représentent plus de la moitié du total des exportations russes. Entre 1999 et 2006, l’endettement public est spectaculairement réduit : comptant pour 110% du PIB en 1999, la dette a été minorée à moins de 40% en 2006. Par la prise de contrôle des groupes industriels, aidée par la flambée des cours des hydrocarbures dans les années 2000, l'État renfloue ses caisses et sort de la décrépitude.

Aujourd'hui, la dette publique ne représente plus que 18,7% du PIB russe6. Par l'indéniable opulence énergétique, la Russie est devenue le premier exportateur de gaz, le second exportateur de pétrole et le troisième exportateur de charbon au monde. Le maître du Kremlin s’est entièrement appuyé sur l’étatisation de la manne énergétique pour réinsérer sur la scène économique un pays dévasté par la disparition de l’URSS. Le renouveau est fait de patriotisme économique qui déploie son propre alliage, l'indépendance énergétique plus la souveraineté industrielle, permettant à la Russie de retrouver une place à la table des nations prospères.

Sauf que l'étatisation des conglomérats d'État a révélé un moyen subversif qui avait été utilisé par les oligarques. En dépeçant le patrimoine industriel hérité de l'empire soviétique, ils l'ont rendu rentable pour les banques et les multinationales américaines. Comment ? Par l'utilisation du dollar. Tous les contrats de financement des groupes industriels contrôlés par les oligarques ont été libellés en dollars. C’est précisément par le déversement de crédits en dollars que l’économie russe et le pouvoir monétaire de la Banque de Russie furent neutralisés. Les échanges sont alors régis par le droit américain7 qui a pu frapper comme un glaive la puissance publique russe. Sans monnaie, pas de souveraineté.

Le symbole est puissant dans l’imaginaire russe : l’impérialisme américain. Le dollar est la monnaie d’un capitalisme financier prédateur, de l’ultra-libéralisme anti-national où l’argent circule sans contrôle de l'État et du droit russe. Poutine va affranchir l’État russe de la soumission au dollar par la restauration du rouble. D'abord un rouble dans sa valeur intérieure, qui signifie à minimum la valeur que les Russes échangent entre eux, ce qu'ils produisent eux-mêmes et pour eux-mêmes. Mais aussi, un rouble comme arme économique extérieure, afin de se prémunir face à d'autres monnaies par l'instrument du taux de change. À bas bruit, la dédollarisation de l'économie russe a commencé dès les années 2000.

Des trains de sanctions occidentales

Saut dans le temps : depuis l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe le 24 février 2022, les occidentaux prononcent des sanctions économiques et monétaires d’une ampleur inédite. Les sanctions cherchent à plonger la Russie dans un marasme économique, d’avoir un impact sur l'investissement, la croissance et le niveau de vie des Russes. D'abord, elles visent à couler le rouble puisque dès l’annonce des sanctions, le rouble s’effondre jusqu’à 35% de sa valeur par rapport au dollar en 24 heures8. Une perte de la valeur du rouble signifie un coût supplémentaire à l'importation des produits et denrées provoquant une forte inflation des prix à l’intérieur du pays.

Ensuite, la Banque de la Fédération de Russie a été mise en incapacité de défendre la valeur du rouble sur les marchés en rachetant sa devise par ses réserves de change. À des montants encore jamais atteints, les avoirs en dollars et en euros de la Banque de Russie déposés dans des comptes occidentaux sont gelés pour un total de 300 milliards de dollars9. L'État russe doit tout simplement s’asseoir sur ses liquidités devenues irrécupérables, exactement comme une perte sèche. Le blocage des devises détenues par Moscou à l'étranger l'empêche de régler ses dettes extérieures et la pousse vers le défaut de paiement.

Enfin, dans le but de priver la Russie des échanges internationaux et en l’isolant du commerce mondial, les principales banques russes sont même coupées du système de paiement SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication). Le réseau de transactions interbancaires est la pierre angulaire du système de paiement international, essentiel pour le commerce des États, des banques et des entreprises. Chaque virement bancaire ou transfert monétaire est coordonné par cette messagerie financière mondiale. C’est une décision inouïe qui introduit le prolongement de la guerre russo-ukrainienne sur le terrain financier et monétaire.

La question énergétique est le sujet le plus sensible car elle entraînerait les pays européens dans une crise inflationniste et une grave désindustrialisation. L’Allemagne, qui refuse de couper ses achats de gaz et de charbon à la Russie, laisse opérer ses institutions bancaires pour participer aux opérations de financement de ses approvisionnements10. Seulement pour le règlement des hydrocarbures, les transactions entre des banques allemandes et des banques russes comme Gazprombank ou Sberbank continuent leurs transactions via SWIFT. Des mesures de rétorsion économiques et financières de grande ampleur, exception faite à l’énergie.

Car disons-le clairement : ce sont les achats d’hydrocarbure russe qui financent les efforts de guerre de Poutine. Comme nous l'avons vu, les secteurs du gaz et du pétrole sont consubstantiels aux finances de l’Etat russe. Un mois après l'invasion de l'Ukraine, le montant des flux européens s’élève à 16,8 milliards de dollars par mois, 10,6 pour le gaz, 5,77 pour le pétrole et 438 millions pour le charbon. Donc à elle seule, l’Europe a acheté pour presque 17 milliards d’hydrocarbures russes depuis « l'opération militaire spéciale »11. Une masse monétaire et financière qui, pour l’instant, permet à l'État russe de résister aux sanctions économiques imposées par les Occidentaux.

Tout pour protéger sa forteresse économique

La première guerre en Ukraine de 2014, alors nommée conflit russo-ukrainien, nous apprend sur la stratégie d'auto-suffisance économique de la Russie. L'idée-maîtresse est l'autonomie économique d'abord, soit augmenter la production intérieure pour couvrir les besoins nationaux. Par exemple, les sanctions et représailles causées par l'annexion de la Crimée en 2014 ont conduit la Russie à investir massivement dans son secteur agricole. Le pays qui importait majoritairement des céréales depuis l’Union européenne, est devenu en quelques années le premier exportateur de blé au monde avec 90 % de ses échanges commerciaux réalisés avec l'Afrique12.

La stratégie russe se nourrit de l'isolation commerciale pour réaliser des sauts qualitatifs de production et accroître son développement industriel. Mais aussi, cette dernière vise à occuper les secteurs vitaux d'autres pays comme une arme de guerre économique. La Russie n'hésite pas à exercer des pressions économiques fortes sur les pays ou régions du monde totalement dépendantes aux exportations russes. Le meilleur exemple concerne l’Allemagne, dépendante à 70% du gaz russe pour son industrie et ses habitations. Le scénario serait économiquement cauchemardesque si elle cessait d’importer du gaz russe, allant jusqu’à une contraction estimée à 3% du PIB du pays le plus riche d’Europe13.

La Russie sait contrecarrer les boycotts des multinationales américaines, françaises, allemandes, britanniques. Pour la loi russe, quitter la Russie signifie tout laisser sur place. Tous les investissements étrangers seront saisis sans compensation et l’entreprise toute bonnement transférée à un repreneur russe. Nike ou Disney ont annoncé cesser leurs activités en Russie et McDonald’s par exemple sera remplacé par Oncle Vanya. Auchan, Total et Renault ont expliqué vouloir se retirer du marché russe mais devront abandonner usines, équipements, machines-outils, brevets, technologies... La Russie joue une partition nette : l'ostracisation doit nourrir le patriotisme économique.

Actuellement, l'explosion des cours des matières premières est une aubaine pour une Russie qui a parfaitement anticipé le coup pour spéculer sur les prix. Avec cette montée en tension sur l'approvisionnement du gaz et du pétrole, la Russie gagne environ 700 millions de dollars nets par jour de ses ventes juste en hydrocarbures14. Mais si la Russie peut vivre de ses matières premières et de ses productions internes relativement coupée du monde, elle doit réinvestir les revenus qu'elle tire des hydrocarubres pour progresser dans les secteurs technologiques : complexe militaro-industriel, nucléaire, espace, aéronautique et numérique.

Car il ne faut jamais oublier l’étroite interdépendance entre pays sur des secteurs hautement stratégiques. Les Etats-Unis ont récemment augmenté leurs commandes en uranium avec la Russie et continuent d'acheter massivement de l’engrais russe. La Russie continue de commercer simultanément avec Taiwan et la Chine pour la fabrication de microprocesseurs essentiels à son industrie automobile et aéronautique. La France avec Total et sa maîtrise technologique, exploite un méga-gisement gazier à Yamal qui est la plus grande usine de gaz liquéfié au monde15. Sur de la haute-technicité, la tactique russe est de conserver des alliés commerciaux, source d’entente et de relations bilatérales.

Un contre-attaque préparée aux rétorsions

La riposte ultime russe serait de couper le robinet des hydrocarbures aux européens et Poutine menace déjà de rompre l’approvisionnement en gaz et pétrole. Paralyser l'appareil industriel immobiliserait les entreprises, provoquerait une inflation galopante, appauvrirait les ménages et causerait une implosion sociale. Si le projet Nord Stream 2 est tout bonnement enterré16, les flux gaziers et pétroliers de Yamal, Nord Stream 1 et Amitié se sont intensifiés. Et malgré la guerre, le gazoduc Fraternité qui passe par l’Ukraine et approvisionne 90% du gaz en Europe reste en service17.

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Les gazoducs russes en Europe

Ce n'était qu'une question de temps avant que les sanctions commerciales et financières occidentales n'entraînent des représailles monétaires de la part de la Russie. Le 23 mars 2022, le Président de la Fédération de Russie a interdit le dollar et l’euro pour payer le gaz russe qu’il exporte. Il signe un décret ordonnant l'arrêt des exportations de gaz et de pétrole si les acheteurs ne paient pas en rouble à partir du 1er avril 202218. En plus, la Russie publie une liste de 51 pays inamicaux pour lesquels s'appliquent les sanctions suivantes : remboursement des dettes détenues par des entreprises uniquement en rouble, en plus des ventes d'hydrocarbures exclusivement en rouble.

Juridiquement et nominalement, les contrats d'hydrocarbures russes sont libellés en dollars ou en euros. La méthode russe pour maintenir la valeur du rouble était de systématiquement convertir les devises qu’ils recevaient des paiements en roubles. Mais puisque les avoirs russes en euros et dollars sont gelés, c'est dorénavant à l’acheteur d’hydrocarbures de convertir au préalable ses euros ou dollars en roubles. Et pour ce faire, l'acheteur devra aussi réaliser l'opération de change depuis un compte en roubles ouvert directement à la Gazprombank pour régler les achats d'hydrocarbures. Cela force les acheteurs à apprécier la valeur du rouble sur le marché des changes.

Exiger que les hydrocarbures soient payés en rouble revient à indexer la valeur du rouble sur les richesses naturelles de la Russie. Mais par quel système financier la Russie pourra-t-elle ensuite commercer sachant que ses banques sont exclues du réseau SWIFT ? En passant par le système financier interbancaire chinois CIPS (Cross-Border Inter-Bank Paiement System). Poutine utilise le système occidental pour que les dollars et euros soient convertis en roubles (comme dit plus haut, les fonds peuvent toujours être transférés à la Gazprombank qui n'est pas frappée de sanctions financières) et ensuite, il bascule sur le système oriental pour payer les échanges en rouble voire à termes être payés yuan.

On ne raisonne donc plus sur des prix en dollar ou euro, mais en rouble ou en yuan. Toutes ces mesures créent une demande forte pour la monnaie russe, qui deux mois plus tard, était revenue au niveau d’avant les sanctions. À terme, le sujet est de faire basculer les réserves de change, les lignes de crédits entre États et les paiements par les banques entièrement du dollar vers le yuan ou le rouble comme monnaies de règlement. Autrement dit, de constituer des paniers de monnaies qui permettent de ne plus systématiquement transacter en dollars, notamment pour les blocs politiques régionaux qui cherchent à s'en émanciper. Vladimir Poutine dédollarise nos cervelles.

Au final un affaiblissement étatsunien du dollar

Les américains ont abusé de leur domination monétaire. Usant de leur pouvoir discrétionnaire sur le dollar pour geler les avoirs russes, ils ont envoyé le message suivant au monde entier : « Si votre politique ne nous convient pas, ou que nos relations se détériorent, nous confisquerons vos avoirs ». Tous les régimes politiques de la planète se rendent compte que le dollar est l'instrument de contrôle de leurs politiques intérieures. Les Américains viennent d'afficher qu'ils n'hésiteront pas à l'avenir de bloquer les fonds libellés en $ régis par le droit américain de façon extraterritoriale. Ce faisant, la pire chose qui puisse arriver à une monnaie vient de se produire : la confiance s’est brisée.

L'exercice de l'autorité suprême sur le système financier international peut finalement se retourner contre la puissance étatsunienne. Le dollar qui est la monnaie la plus liquide, utilisée par tous les pays comme monnaie de réserve, pourrait perdre son rôle de devise pivot des échanges internationaux. Que ce soit pour effectuer des règlements internationaux ou constituer des réserves de change, les pays peuvnt progressivement réduire leur dépendance au dollar en constituant des réserves en yuan, en rouble, en roupie ou en franc suisse. On se demande si les Etats-Unis n'ont pas signé la fin des Accords de Bretton Woods de 1945 qui ont fondé le système monétaire international sur le dollar.

Potentiellement ces prochaines années, nous allons attester de l'affaiblissement du système traditionnel américain au profit du système alternatif chinois. La Chine dispose déjà de son propre système de paiement interbancaire, le fameux CIPS, qui permet aux banques à l’instar du système SWIFT d’effectuer des transactions transfrontalières et surtout, de régler les crédits internationaux en yuan. En 2021, il y a eu pour 80 000 milliards de yuans (12 690 milliards de dollars) de transactions effectuées via le système de messagerie interbancaire chinois, que des banques comme HSBC et BNP Paribas utilisent pour leurs transferts et leurs règlements en zone Asie19.

Aussi, la Chine cumule des réserves de change en monnaie américaine d’une valeur de 3 500 milliards de dollars, soit l'équivalent du PIB allemand juste en devises stockées. La Chine sait que si elle envahit Taïwan, ses milliers de milliards de dollars seraient immédiatement bloqués. L'Empire du milieu n’a d’autre choix que de réduire sa dépendance au dollar en développant le yuan comme monnaie de règlement. D’autres pays vont emboîter le pas pour cesser d'utiliser systématiquement le dollar, ce que l'Arabie Saoudite a déjà annoncé faire pour fixer le prix du baril de son pétrole20. L'avènement d'un pétroyuan qui sonne le glas du pétrodollar ?

Utilisé pour 60% des échanges commerciaux, le monde entier achète du dollar donc soutient la valeur du dollar. À l'inverse, si le nombre de pays qui achètent du dollar diminue, son pouvoir se déprécie. Le refuser est le moyen direct de contester l’hégémonie américaine, notamment pour les pays qui visent une multi-polarité : l’Inde, le Brésil, l’Arabie Saoudite, l’Iran, le Venezuela… Les Chinois et les Russes se préparent à cette guerre monétaire depuis des années. Les BRICS prônent une monnaie de réserve mondiale super-souveraine qui ne dépende d’aucun État en particulier et qui serait arrimée à l’or. Ce serait l'avènement d'une devise internationale qui renverserait l’échiquier monétaire et financier.

C’est un choc entre les grandes sphères du monde : la sphère russo-chinoise contre la sphère américano-européen. Sans doute, cette guerre a provoqué une reconfiguration du monde

Sources :

¹ Andrey A. KINYAKIN - Les oligarques dans la Russie contemporaine : de la « capture » de l'État à leur mise sous tutelle

² Le Monde - La « verticale du pouvoir », ligne directrice du poutinisme

³ Le Temps - En Russie, huit grands groupes d'actionnaires dictent leur politique de réformes au Kremlin

Club de Paris - Pays débiteurs, Fédération de Russie

Les Echos - Le Club de Paris conclut un accord généreux sur la dette russe

Ministère des Finances - Situation économique et financière de la Russie en décembre 2021

Ecole de guerre économique - La dédollarisation des économies, fin de l'ère de puissance des États-Unis ?

Ouest France - Guerre en Ukraine, le rouble russe chute de près de 30 % après les dernières sanctions

Challenges - Environ $300 milliards de réserves de changes gelés, dit la Russie

¹⁰ RFI - L'Allemagne s'oppose à un embargo sur le gaz, le pétrole et le charbon russes

¹¹ La Tribune - Guerre en Ukraine : l'Europe a acheté près de 17 milliards d'euros de gaz et de pétrole russes depuis le début du conflit

¹² Les Echos - La Russie, premier fournisseur de blé de la planète

¹³ La Presse - Couper le gaz russe, l’Allemagne entre morale et raison économique

¹⁴ France Inter - Se priver du gaz russe ?

¹⁵ Les Echos - Dans le Grand Nord russe, le projet gazier géant de Total sort de terre

¹⁶ Reporterre - Guerre en Ukraine : le gazoduc Nord Stream 2 enterré

¹⁷ Europe 1 - L'Ukraine, aussi, bénéficie économiquement du gaz russe

¹⁸ La Tribune - Coup de théâtre : Poutine fait volte-face et exige le paiement du gaz russe en roubles dès ce 1er avril

¹⁹ Reuters - Factbox: What is China's onshore yuan clearing and settlement system CIPS ?

²⁰ L'Opinion - L’Arabie saoudite envisage d’accepter les yuans des Chinois pour son pétrole

Published 2 années plus tôt