Difficile Bitcoin
Les barrières à l'entrée de Bitcoin sont nombreuses pour les néophytes. Cherchant à se libérer du diktat de la dette et du monopole bancaire, la crypto-monnaie enferme dans un monde encore trop hermétique. Or pour positionner bitcoin en véritable monnaie alternative et généraliser les routes de paiement du réseau, ses attraits devront séduire les foules. Le grand défi est de prouver qu’une monnaie née de l'Internet, circule mieux que celles du système conventionnel.
Afin d'analyser les blocages d’adoption par le public, il convient de rappeler la promesse originelle de Bitcoin : l'argent liquide digital. Dès sa conception, le projet ambitionne de dépasser les contraintes techniques de la monnaie électronique dans sa forme actuelle. Bitcoin veut faire la différence avec des services de paiement en ligne comme PayPal ou Stripe et les néo-banques comme Revolut et N26. Mais les promesses de la crypto-monnaie sont-elles tenues ?
Accepter les conditions d’utilisation
Aussi basique que cela puisse paraître, pour démarrer avec Bitcoin, il faudra acheter des bitcoins. Tout utilisateur doit se procurer l'unité monétaire pour accéder au réseau. La première expérience est souvent l'œuvre d'une connaissance envoyant quelques fractions de bitcoins appelés satochis, après avoir téléchargé une application de porte-monnaie numérique. Sinon, de nombreux services en ligne facilitent l'achat des premiers bitcoins avec les monnaies officielles.
Immédiatement en possession de la monnaie virtuelle, vient le réflexe de son utilisation concrète. Or, les bitcoins fraîchement acquis ne seront sûrement pas utilisables dans le monde physique, puisque la cryptomonnaie reste quasi-incompatible avec les terminaux de paiement électronique classiques. Si un consommateur recherche un avantage immédiat à utiliser Bitcoin, il conclura (trop vite) que le Bitcoin n'est pas accepté chez un commerçant ou sur un site marchand.
Aussi, cette manipulation qui requiert de convertir de la monnaie légale contre un signe monétaire énigmatique, freine encore les plus curieux. Pourtant, l'opération de change a été popularisée et simplifiée par les plateformes d'échange de crypto-monnaies comme Binance. Mais s'il n'est pas requis en théorie de céder d’information personnelle pour s'essayer à la crypto-monnaie, la procédure de vérification d'identité devient obligatoire. De plus en plus, jouer à Bitcoin prend la forme d'une ouverture de compte bancaire.
Une faible utilisation chiffres à l’appui
En principe, Bitcoin est un réseau ouvert auquel on peut s'y brancher à l’image d’une connexion à Internet. Alors pourquoi la grande majorité des gens n’ont encore jamais utilisé Bitcoin ? Les premiers moments de friction pour l'utilisateur, que nous venons de décrire, sont en train d'être réglés par des services ergonomiques qui facilitent l'adoption de la monnaie. En plus des questions d’usage, ce sont les avantages tant loués par les aficionados du Bitcoin qui mettent du temps à convaincre au niveau des échanges. C'est en tant que système des paiements que les choses bloquent le plus.
Malgré l’espoir de concurrencer les monnaies étatiques, l’usage de bitcoin demeure quasi-anecdotique : s'il équivaut à moins de 1% de la masse monétaire totale dû à son régime d'émission fixe, on estime entre 100 et 300 millions le nombre de personnes à détenir des bitcoins. Pourtant, il représente moins de 1% du nombre de transactions dans le monde comparé à l’euro ou le dollar 1 avec environ 280 000 transactions par jour. Sur les paiements de détail, à savoir une utilisation courante pour payer des factures ou réaliser ses achats, il n'offre aucun intérêt particulier.
Pour autant, l’offre de nouvelles crypto-monnaies est foisonnante : le cap des 5 000 crypto-monnaies a été franchi le 1er janvier 20202. Il apparaît une quinzaine de nouvelles monnaies virtuelles ou jetons numériques chaque semaine, sachant que certaines disparaissent et d'autres tombent dans l'oubli. Gadgets spéculatifs pour les uns, outils monétaires pour les autres, ils seront légitimes si leurs avantages, encore trop bloqués par le système financier traditionnel comme nous allons le voir, sont véritablement adoptés par les particuliers et les entreprises.
Des débuts d'interopérabilité financière
Des sociétés à forte croissance parient sur l'intégration de la toile crypto-monétaire à l'infrastructure bancaire classique. En collaboration avec les organismes de paiement, ces jeunes pousses offrent des cartes de débit Mastercard et Visa, permettant aux utilisateurs de payer en dépensant toutes sortes de crypto-actifs (dans lesquels elles encouragent à investir). En plus de jouer avec des devises virtuelles, l’intérêt premier est d'emprunter le réseau financier des opérateurs de paiement pour payer en cryptomonnaies, ce qui favorise un usage plus grand public.
Pour l'instant, ce type de produit s’adresse surtout aux boursicoteurs ou aux usagers qui ont envie de gérer leurs opérations financières au jour le jour (en gardant un œil sur taux de conversion à chaque transaction). Pour les spécialistes des technologies financières, le financier qui sommeille en nous pourrait jouer en temps réel avec des actifs fluctuants sur les marchés et gagner au change lors des paiements. On est loin ici de la monnaie facile et courante en pièces ou billets, sachant que le paiement par carte bancaire est déjà très répandu dans les usages.
Pour l'instant, le constat est clair : les paiements de pair-à-pair, se coupant des intermédiaires existants, peinent à s'imposer. Les réseaux transactionnels historiques sont captifs et bloquent Bitcoin comme nouveau mode de transmission des échanges. Dans cette tactique de passerelle avec le secteur traditionnel, c'est bien ce dernier qui monopolise par son infrastructure et ses moyens de paiement la quasi-totalité des mouvements financiers de l'économie réelle. En plus, ces nouveaux services compatibles avec le système traditionnel, s'opposent fortement à l'identité subversive de Bitcoin.
Court-circuiter les banques, vraiment ?
Des solutions de paiement Bitcoin-compatible peuvent facilement se connecter à votre compte bancaire classique. Avec Strike, l’idée est d'inverser la logique : vous pouvez payer en bitcoins sans acheter au préalable de bitcoins. Via une application, il suffit de scanner une facture électronique (QR code) et un mécanisme de change automatique s'exécute en arrière-plan pour régler. Les utilisateurs vont payer avec les dollars ou les euros de leur compte bancaire, sans se rendre compte qu'ils utilisent les routes de paiement du réseau Bitcoin.
Prometteuse, la preuve de concept a été réalisée pour un dispensaire de cannabis légal dans l'État du Colorado aux Etats-Unis. Le cas d'usage est particulier : combler le faible déploiement du réseau bancaire dans cette région, doublé du refus pour motif d’assurance relatif aux drogues de fournir un terminal de paiement. Cette solution élégante démontre grandeur nature les performances du réseau Bitcoin avec des transactions instantanées. Le bénéfice est que l’utilisateur ne détiendra pas de bitcoin au sens légal du terme, lui évitant d'avoir à remplir la déclaration fiscale des comptes d'actifs numériques.
L'habilité est de connecter de nouveaux utilisateurs au réseau le plus simplement du monde. Si s’attaquer à la barrière entre monnaies régaliennes et Bitcoin semble audacieux, le service n'est pas un moyen de paiement supérieur à ce qui est déjà disponible avec les cartes bancaires. L'infrastructure banco-financière très fonctionne efficacement dans les pays développés, notamment en France où le paiement par carte bleue est largement entré dans les mœurs3. Enregistrer sa carte pour ne plus en saisir les informations, payer sans-contact en magasin : tout se règle déjà en un instant.
Penser la monnaie comme une « interface relationnelle »
Pour un accès simple aux crypto-monnaies, il est possible de générer à la volée des adresses sécurisées pour recevoir et envoyer des fonds comme LNbits. Chaque adresse prend la forme d'un simple lien URL, qui renvoie sur une page web contenant les sommes créditées. Sans télécharger une énième application, on peut créer autant d'adresses que nécessaire depuis un navigateur web. En quelques clics, il est possible d'organiser ses paiements avec une facilité déconcertante.
En tant que système des paiements, traiter un nombre maximal de transactions est désormais possible grâce à la mise à niveau du réseau appelée Lightning4 (Éclair) : les paiements instantanés, sans tiers de confiance et sans limite de flux sont possibles. La perception d'un flux d'argent en micro-secondes, où chaque euro reçu est aussitôt redépensable, est assez impressionnante lorsqu'on l'essaie. Ces transactions passent par des canaux de paiement, à l'intérieur desquels la monnaie est tout simplement diffusée en temps réel à chaque clics (rien à voir avec les virements bancaires).
Pour les paiements via flashcode (QR code), ce standard technologique ouvert est compatible avec tout téléphone équipé d'un appareil photo et connecté à Internet. Chaque appareil devient un terminal de paiement mobile, capable de propager des transactions sur le réseau. Le flashcode établit des certificats d’échange infalsifiables, preuve numérique incensurable de la valeur transférée. Facile d'utilisation, il est déjà le moyen de paiement le plus utilisé en Chine où le client scanne le carré pixelisé du vendeur qui est imprimé et accessible aux caisses, sur les tables des restaurants ou directement sur les produits.
Les fonctions de base de l'argent liquide
Il est logique de tirer parti des propriétés spécifiques du bitcoin, à savoir le renforcement des libertés numériques. Bitcoin a les même atouts de l’argent liquide : fongibilité, confidentialité et immédiateté en version numérique. La fonction de base du porte-monnaie est d'y déposer des sommes facilement et de l'utiliser dès que nécessaire pour payer. Justement, un porte-monnaie numérique Bitcoin permet d'utiliser son argent en bitcoin, de stocker ses fonds et de payer par flashcode, sans avoir à s'inscrire ni à partager de données privées.
L'argent liquide numérique est basé sur l'approche en flux où les sommes sont propagées instantanément depuis des espaces sécurisés en ligne. Ces coffres-forts dynamiques, pour qui en détient l’autorisation, transforment les mouvements d’argent transfrontalier à des échelles infimes puisque quelques centimes peuvent être reçus immédiatement et sans frais. Cela dépasse largement les comptes statiques de dépôt et de retrait, bancaires et nominatifs5.
Ces adresses facilitent les usages puisque les transactions se font en argent comptant. Les sommes versées sont tout de suite réutilisables comme des espèces numériques. À noter que chaque adresse est « consommable » et s’auto-détruit une fois son solde vidée en totalité, gage de vie privée. Un utilisateur garde et organise sa monnaie, comme s'il rangeait ses pièces ou billets dans son portefeuille (et non un compte bancaire), pratique pour les dépenses quotidiennes.
La primauté du choix revient à l'utilisateur
Bitcoin est loin d’être facile, mais il revêt les caractéristiques natives de l'Internet : il est programmable. Aucune offre de paiement généraliste n’est aussi globale et universelle, et a fortiori proche des échanges en espèces de personne à personne. Néanmoins, il suffit de parler de Bitcoin autour de soi pour se rendre compte qu’il a mauvaise presse et pour conclure qu'il n'est pas attractif pour tout le monde. Pour l'instant, Bitcoin ne présente pas assez d’avantages pratiques sur les systèmes de paiement existants.
Les acteurs de Bitcoin bataillent pour captiver de nouveaux adeptes, différemment que pour les fanatiques déjà conquis par les monnaies alternatives. Quand du bitcoin se dépensera communément pour des biens et des services, c'est qu'il aura atteint un niveau d'échange intelligible, instantané et confidentiel. Au-delà de la spéculation sur des plateformes boursières ou de sa conservation comme une réserve de valeur, Bitcoin reste un instrument de valeur anti-conformiste.
Une des clefs à Bitcoin serait de développer son propre écosystème applicatif, ce qui n'est pas encore possible. Cet instrument d'échange, si dérangeant, pourrait bien un jour avoir une valeur d'usage enfin perceptible par les particuliers et les professionnels. L’adoption massive de ces nouveaux outils monétaires se fera en accordant des privilèges irréalisables avec les systèmes monétaires classiques. Il faudra donc parvenir à justifier l’inconvénient d’utiliser une autre « monnaie » que la monnaie officielle.
À Bitcoin de se bonifier au gré de ses améliorations logicielles et de devenir un jour monnaie courante.
Sources :
¹ CoinMetrics - Graphique des transactions en temps réel ↩
² CoinMarketCap - Liste de toutes les crypto-monnaies ↩
³ Banque de France - L’utilisation des espèces en France et dans la zone euro ↩
⁴ Cercle du Coin - Table Ronde sur Lightning et ses enjeux ↩